La faute inexcusable de l’employeur peut-elle être retenue lorsqu’il a été alerté de manière générale par le médecin du travail sur l’existence de risques psychosociaux dans l’entreprise et lorsque la salariée a elle-même exprimé des difficultés ?
Cass. 2e civ., 25 septembre 2025, n° 23-14.460
Après avoir été licenciée, une salariée met fin à ses jours, le 26 novembre 2013. Ses ayants droits saisissent la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.
La Cour d’appel rejette la demande et ne retient pas l’existence d’une faute inexcusable. Elle relève pourtant que les pratiques managériales du dirigeant de l’entreprise ont créé des conditions de travail très détériorées pour tous les salariés de la société, et que la victime, particulièrement investie dans son travail, n’a pas supporté ces conditions détériorées et les conditions de son licenciement. Elle en déduit que l’employeur a bien manqué à son obligation de sécurité à l’égard de la victime, mais qu’il n’est pas prouvé qu’il avait conscience ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé la salariée.
Parmi les faits retenus, elle relève que le 15 octobre 2022, 1 an avant le suicide de la salariée, le médecin du travail avait alerté le dirigeant par courrier, indiquant :
La cour d’appel considérait toutefois que le médecin du travail n’avait pas attiré l’attention du dirigeant sur le cas particulier de la victime.
Elle relevait également que, dans un courrier envoyé au dirigeant le 30 août 2013, soit 3 mois avant les faits, la salariée avait évoqué :
Mais la Cour d’appel estimait que les termes employés par la victime dans ce courrier ne permettaient pas de déceler la fragilité psychologique dans laquelle elle se trouvait alors.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Elle rappelle que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Elle retient qu’il ressortait des constatations faites par la cour d’appel que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience des risques psychosociaux encourus par la salariée, et qu’il n’a pas pris toutes les mesures pour l’éviter.
Note : Le Ministère du travail a récemment publié une note détaillée sur la prévention du suicide au travail.
Une action de groupe en reconnaissance de l’existence d’une discrimination syndicale collective peut-elle se fonder sur des faits qui se sont déroulés avant l’entrée en vigueur de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 ?
Cass. Soc., 5 novembre 2025, n° 24-15.269
La Fédération des travailleurs de la métallurgie FTM-CGT a, par acte du 30 mars 2018, assigné une société devant le TGI (ancien TJ), en intentant une action de groupe en application de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, afin de faire cesser une situation de discrimination collective. La confédération générale du travail (CGT) est intervenue volontairement à l’instance.
Elles constataient que les salariés titulaires d’un mandat CGT faisaient face à une discrimination syndicale dans l’évolution de leur carrière et leur rémunération, et souhaitaient :
La Cour d’appel, par un arrêt du 14 mars 2024, a rejeté l’ensemble de leurs demandes.
Elle retient que l’article 92 de la loi du 18 novembre 2016 prévoit que pour les faits de discrimination, ces dispositions sont applicables aux seules actions dont le fait générateur est postérieur à l’entrée en vigueur de cette loi. Dès lors, en examinant les faits postérieurs au 20 novembre 2016 (date d’entrée en vigueur de la loi), il n’était pas justifié d’éléments qui laissaient supposer l’existence d’une discrimination concernant au moins deux salariés.
La Fédération et la confédération se pourvoient en cassation, et intentent également une action devant le Conseil Constitutionnel visant à déclarer non conforme à la Constitution l’article 92 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016.
Sur l'action devant le Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel a, par une décision du 6 février 2025 (détaillée dans l’actu tendance n°759), déclaré conforme à la Constitution la limitation de l’action de groupe aux faits générateurs survenus postérieurement à la date d’entrée en vigueur de cette loi, soit le 19 novembre 2016.
Sur le pourvoi devant la Cour de cassation
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel.
Elle se base sur l’article L. 1134-5 du code du travail, qui prévoit que l’action en discrimination n’est pas prescrite lorsque le salarié fait valoir que la discrimination s'est poursuivie tout au long de sa carrière au sein de l’entreprise, les faits n’ayant alors pas cessé de produire leurs effets.
Elle se fonde également sur l’article L. 1134-1 du code du travail, qui rappelle qu’il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination. L’action de groupe peut donc se fonder sur ce régime probatoire.
La Cour en déduit que pour pouvoir apprécier le fait générateur de la responsabilité ou du manquement de l’employeur, postérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, le juge saisi d’une action de groupe fondée sur une discrimination collective qui s’est poursuivie tout au long de la carrière des salariés doit prendre en compte les éléments de fait qui n’ont pas cessé de produire leurs effets postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, quand bien même sont seuls indemnisables dans le cadre de l’action de groupe les préjudices nés après la réception de la demande.
En matière de discrimination syndicale, l’action de groupe peut donc se baser sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, à condition que leurs effets se poursuivent postérieurement à son entrée en vigueur, sans que cela n’étende pour autant le droit à indemnisation des préjudices.
Note : La loi n°2025-391 du 30 avril 2025, applicable aux actions intentées à partir du 3 mai 2025, étend le champ d’application de l’action de groupe (auparavant limité aux discriminations et à la protection des données personnelles) à tout manquement de l’employeur à ses obligations légales ou contractuelles touchant plusieurs salariés.
CDD de remplacement sans terme précis : le silence de l’employeur sur le terme du CDD du salarié remplaçant peut entraîner la requalification en CDI
Cass. Soc., 13 novembre 2025, n° 24-14.259 FS-B
Un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail le 30 octobre 2019. Il avait été recruté le 13 août 2015, en qualité de matelot, afin de pourvoir au remplacement d’un autre salarié, par un CDD sans terme précis. Le 23 septembre 2015, il est victime d’un accident du travail, et est déclaré inapte à la profession de marin le 11 mars 2019.
Il prend acte de la rupture de son contrat de travail le 30 octobre 2019, et saisit, le 29 janvier 2020, le tribunal judiciaire en requalification de son CDD en CDI et en reconnaissance de ce que sa prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel fait droit à ses demandes.
Sur la poursuite de la relation de travail
Elle constate que le salarié avait été recruté pour remplacer un marin pendant son absence, lequel avait été déclaré inapte le 29 juin 2017, puis licencié. La fin du CDD de remplacement aurait donc dû être notifiée au salarié puisque le salarié qu'il remplaçait était sorti des effectifs.
Or, la Cour d’appel relève que l’employeur n'avait pas, pendant plus de 2 ans (entre 2017 et 2019), notifié la cessation du CDD de remplacement au salarié ni remis ses documents de fin de contrat. La société avait donc maintenu le salarié dans les liens d’un contrat de travail, qui s’était poursuivi après la cessation du CDD, entraînant sa requalification en CDI.
Sur la prise d’acte
La Cour d’appel observe que l’employeur n’avait pas repris le paiement des salaires un mois après l’avis d’inaptitude, et ce pendant 6 mois, sans rompre le contrat de travail. Dès lors, la prise d’acte produit bien les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur se pourvoit en cassation.
Il considère que le salarié en CDD de remplacement n’avait jamais retravaillé après le terme du contrat du salarié qu’il remplaçait, puisque son contrat était suspendu en raison de son accident du travail.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle approuve le raisonnement de la Cour d’appel et rappelle qu’il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de l'événement constitutif du terme du CDD et de sa date.
Elle rappelle également qu’aux termes de l’article L. 1243-11 du code du travail, lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du CDD, celui-ci devient un CDI.
Elle approuve ainsi la Cour d’appel qui avait constaté que l’employeur n’avait pas notifié au salarié le licenciement du salarié remplacé, et donc le terme de son propre contrat, ni remis au salarié ses documents de fin de contrat. Elle en a déduit que le contrat de travail s’était poursuivi et devait être requalifié en CDI, peu important que le contrat du salarié en CDD de remplacement ait été suspendu.
L’employeur doit donc informer le salarié en CDD de remplacement du terme de son CDD pour mettre fin à la relation de travail.
Par un arrêt du 3 avril 2024, n° 22-16.812, que nous vous avions présenté dans le n°721 de l’actu tendance, la Cour de cassation a jugé que l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des ASC ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté. Le guide pratique de l’URSSAF à destination des CSE avait été mis à jour en ce sens.
L'URSSAF avait accordé aux entreprises jusqu’au 31 décembre 2025 pour se mettre en conformité et modifier les critères de versement de ces prestations.
Dans une actualité parue le 20 novembre 2025, l’URSSAF rappelle cette obligation, et la fin de la période de tolérance. A partir du 1er janvier 2026, en cas de contrôle, si une condition d’ancienneté est constatée pour le bénéfice des prestations du CSE, une mise en conformité pour l’avenir sera demandée.
En cas de résiliation d’un contrat d’assurance couvrant les risques de dépendance et d’invalidité, le transfert au nouvel assureur des provisions pour risque croissant n’est pas inhérent au contrat.
Cass, 2ème civ, 27 novembre 2025, n°23-18.857
Les autorités européennes de surveillance ont publié la liste des prestations informatiques critiques qui feront l’objet d’une surveillance directes dans le cadre du règlement DORA.
Le médiateur recommande aux organismes assureurs de préciser dans leurs contrats toutes les conditions permettant de prétendre à la participation aux bénéfices, et le cas échéant, d’attirer l’attention des assurés qui souhaitent procéder au rachat ou au transfert de leur contrat en cours d’année, sur l’absence de revalorisation prorata temporis.
Ce décret étend à certaines prothèses capillaires et certains fauteuils roulants, la prise en charge renforcée (100% Santé). Les contrats responsables des complémentaires santé, devront prendre en charge la différence entre la base de remboursement et le prix limite de vente. Il détermine également les limites dans lesquelles est fixée, par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, la participation des assurés aux frais relatifs aux actes de vaccination effectués en laboratoire de biologie médicale.
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